Les deux visages du dharma

Par Bhikkhu Bodhi, traduction Michel Proulx.
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Paru sur la liste bouddhadharma le 21 mars 2001

 

Un paradoxe

Lorsqu'on rencontre le Bouddhisme pour la première fois, on se trouve confrontés à un paradoxe. Intellectuellement, on dirait le paradis du libre-penseur: sobre, réaliste, non-dogmatique, presque scientifique dans son apparence et sa méthode. mais si nous entrons en contact de l'intérieur avec le Dharma vivant, nous découvrons rapidement qu'il a un autre côté qui semblerait presque l'antithèse de tous nos préjugés rationalistes. Certes, nous ne sommes toujours pas confrontés à des croyances rigides ou à de la spéculation oiseuse, mais nous le sommes à des idéaux religieux de renonciation, de contemplation et de dévotion; à un corps de doctrine qui s'occupe de sujets qui transcendent la perception sensorielle et la pensée; et -- ce qui est peut-être encore plus déconcertant -- un programme d'entraînement dans lequel la foi figure en tant que vertu cardinale, le doute comme un obstacle, une barrière et un lien.

Lorsque nous tentons de déterminer notre relation au Dharma, nous nous trouvons à terme confrontés au défi de découvrir un sens à ces deux visages apparemment irréconciliables: l'aspect empirique tourné vers le monde, qui nous dit d'explorer, d'enquêter et de vérifier les choses par nous-mêmes, et l'aspect religieux tourné vers l'Au-delà, nous conseillant de dissiper nos doutes et de placer notre confiance dans le maître et dans son enseignement.

Résoudre le dilemne

Une des façons dont nous pouvons résoudre ce dilemme est de n'accepter qu'un seul des aspects du Dharma comme authentique et de rejeter l'autre comme étant invalide ou superflu. C'est ainsi que dans le piétisme bouddhiste traditionnel, on peut embrasser l'aspect religieux de la foi et de la dévotion, mais fuir une idée du monde réaliste ainsi que la tâche de l'enquête critique; ou, comme c'est le cas dans l'apologétique bouddhiste moderne, nous pouvons exalter l'empirisme du Dharma et sa ressemblance avec la science, mais trébucher de façon gênante sur l'aspect religieux. Et pourtant, si on réfléchit sur ce que nécessite réellement une spiritualité bouddhiste authentique, il devient clair que les deux visages du Dharma sont également authentiques et qu'il faut tenir compte des deux. Si nous ne le faisons pas, non seulement courrons-nous le risque d'adopter un point de vue partial de l'enseignement, mais notre propre engagement dans le Dharma sera susceptible d'être embarassé par des attitudes partiales et conflictuelles.

Le problème demeure, cependant, de joindre ces deux visages du Dharma sans tomber dans les contradictions. La clef, suggérons-nous, pour parfaire cette réconciliation, et ainsi assurer la consistance interne de notre propre perspective et pratique, serait de considérer deux points fondamentaux: le premier, le but directionnel du Dharma; et le second, la stratégie qu'il emploie pour parvenir à ce but. Le but est d'arriver à la délivrance de la souffrance. Le Dharma ne cherche pas à nous fournir une information factuelle sur le monde, et de la sorte, malgré une compatibilité avec la science, ses buts et ses préoccupations sont nécessairement différents de ceux de celle-ci. Primairement et essentiellement, le Dharma est une voie pour l'émancipation spirituelle, pour la libération de la ronde des naissances répétées, de la mort et de la souffrance. Offert à nous en tant qu'irremplaçable moyen de délivrance, le Dharma ne recherche pas un simple assentiment intellectuel, mais commande une réponse qui sera nécessairement pleinement religieuse. Il s'adresse à nous en tant que fond rocheux de notre être, et c'est là qu'il éveille la foi, la dévotion et l'engagement appropriés lorsque le but final de notre existence est en jeu.

La foi et la dévotion

Mais pour le Bouddhisme, la foi et la dévotion ne sont que des aiguillons qui nous obligent à entrer et à persévérer le long de la Voie; en elles-mêmes, elles ne peuvent  assure la délivrance. La première cause d'attachement et de souffrance, nous enseigne le Bouddha, est l'ignorance de la véritable nature de l'existence; d'où il découle, dans la stratégie bouddhiste de libération, que l'instrument fondamental doit être la sagesse, la connaissance et la vision des choses comme elles sont réellement. L'investigation et l'enquête critique, froides et sans implication, constituent la première étape vers la sagesse, qui nous permet de résoudre nos doutes et d'avoir une prise conceptuelle des vérités desquelles dépend notre délivrance. Mais le doute et le questionnement ne peuvent continuer indéfiniment. Une fois que nous avons décidé que le Dharma doit être notre véhicule de liberté spirituelle, il nous faut monter à bord: nous devons laisser nos hésitations derrière nous et entrer dans le cours de l'entraînement qui nous mènera de la foi à la vision libératrice.

Le visage unique

A ceux qui abordent le Dharma en quête d'une gratification intellectuelle ou émotionnelle, il leur montrera inévitablement deux visages, et l'un de ceux-ci restera pour nous toujours un mystère. Mais si nous sommes prêts à aborder le Dharma dans les propres termes de ce dernier, en tant que voie vers la délivrance de la souffrance, il n'y aura  en rien deux visages. Au lieu de cela, nous verrons ce qui était là depuis le début: le visage unique du Dharma qui, comme tous les autres visages, présente deux côtés complémentaires.

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